Le Colonel (Eugène SCRIBE - Germain DELAVIGNE)

Comédie-Vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase, le 29 janvier 1821.

 

Personnages

 

M. DE GONDREVILLE

ADOLPHE, capitaine au 12e régiment de hussards

LE QUARTIER-MAÎTRE

MADAME DE GONDREVILLE, femme de M. de Gondreville

ÉLISE DE LUSSAN, cousine de madame de Gondreville

CADET, garçon de l’auberge

PLUSIEURS OFFICIERS du même régiment

 

À Joigny, dans une auberge.

 

Une salle commune aux voyageurs. Porte au fond, deux portes latérales ; sur l’une est écrit n° 3, sur l’autre n° 4.

 

 

Scène première

 

GONDREVILLE, debout, en habit de voyage, lit une lettre, ADOLPHE, assis près d’une table, arrange une boîte de pistolets

 

GONDREVILLE, lisant.

« Rendez-vous sur-le-champ à Paris, et dans le plus grand secret, quelque chose s’y prépare ; votre présence y est nécessaire. » Ma foi, j’en crois M. le maréchal, et j’obéis à cet avis.

ADOLPHE.

Holà ! quelqu’un ! Ils ont établi ici à la fois l’auberge et la poste, et, à cela près qu’il n’y a jamais de chevaux à l’écurie, ni de domestiques à la cuisine, c’est la maison la mieux servie de toute la ville de Joigny. On a beau sonner !...

GONDREVILLE, froidement.

Il faut croire, monsieur, qu’on ne vous a point entendu.

ADOLPHE.

Voilà plus de deux minutes que j’appelle. André !...

GONDREVILLE.

Moi, monsieur, voilà plus d’une demi-heure ; j’ai pris le parti d’attendre, et je vous conseille d’en faire autant.

ADOLPHE.

Parbleu ! monsieur, vous êtes du plus beau sang-froid ; à votre place, j’aurais déjà tout brisé. André !... les filles !... les garçons !

Il sonne de nouveau.

 

 

Scène II

 

GONDREVILLE, ADOLPHE, CADET, portant une valise sur laquelle est une adresse

 

CADET.

Eh bien ! nous voilà ; qu’est-ce que vous voulez ?

ADOLPHE.

Ce que je veux ?

CADET.

Pardi ! sûrement, il faut bien que je sache ce que vous voulez pour que je vous le donne.

ADOLPHE.

Ah ! ce que je veux ? ma foi, je n’en sais plus rien. Tu m’as si longtemps fait sonner que j’ai oublié... Mais parle à monsieur, qui est plus pressé.

CADET, à Gondreville.

Voici d’abord votre valise ; je crois que c’est bien la vôtre.

Lisant.

À M. Lebrun, à Paris.

ADOLPHE, à part.

M. Lebrun ! je ne le connais pas.

GONDREVILLE.

C’est bien ! y a-t-il ici des lettres adressées à M. Leblanc, poste restante ?

CADET.

Non, monsieur, aucune.

GONDREVILLE, froidement.

Ah ! en ce cas, reportez cette valise dans ma voiture, et donnez-moi des chevaux.

CADET.

Comment ! monsieur, à peine arrivé, vous repartez ? Il paraît que monsieur est pressé.

GONDREVILLE.

Probablement.

CADET.

C’est que, voyez-vous, la poste de Joigny est sans contredit la mieux montée en chevaux de toute la route ; mais...

Air : Un homme pour faire un tableau. (Les Hasards de la guerre.)

En c’ moment ils font, par malheur,
Le service sur la rivière ;
N’s avons des bateaux à vapeur
Qui restent souvent en arrière.
L’ coch’ d’Auxerr’ les passe toujours,
Et pour êtr’ plus solid’s au poste.
Ils se sont vus, depuis quelq’ jours.
Obligés de prendre la poste.

ADOLPHE.

La ! qu’est-ce que je disais !

CADET.

Et vous serez peut-être obligé d’attendre une petite heure.

GONDREVILLE.

Une heure ! C’est bon, qu’on me donne une chambre. J’attendrai.

CADET, montrant l’appartement à gauche.

Oui, monsieur, nous avons là le n° 4.

Cadet sort.

ADOLPHE, à part.

Ah ! le pauvre homme !

Allant à lui.

Monsieur Lebrun ou monsieur Leblanc, je ne sais pas lequel des deux noms, je m’intéresse à vous, et si vous êtes pressé, si vous avez des affaires, ne vous y fiez pas. Quand il vous dit une heure, c’est quatre heures. Je connais la maison... depuis un mois que je suis ici en garnison, et que je loge dans cette maudite auberge, où je suis forcé de rester pour des raisons particulières... Vous saurez que c’est la seule auberge de Joigny où l’on fasse crédit aux officiers.

GONDREVILLE.

En effet, le 12e de hussards doit être caserne dans cette ville. Un beau régiment !

ADOLPHE.

Il paraît que monsieur a servi ? Entre militaires, entre camarades, on agit sans façon. Quelques affaires sans doute vous attiraient dans cette ville. J’y suis déjà un peu connu, reçu dans les meilleures maisons ; je monte à cheval avec le sous-préfet, je suis assez lié avec le receveur, à qui je gagne son argent.

Air : De sommeiller encor, ma chère. (Fanchon la vieilleuse.)

Je suis au mieux, et je m’en vante,
Avec le procureur du roi,
Et tous les soirs la présidente
Fait de la musique avec moi,
Je fais faire mainte culbute
Sur mes genoux à sou petit garçon,
Et son mari me persécute
Pour être parrain du second.

Et vous sentez qu’avec de pareilles protections... Si je pouvais vous être utile, je vous prie de disposer de moi, Adolphe de Luceval, capitaine de hussards, qui sera enchanté de faire votre connaissance.

GONDREVILLE.

On ne peut être plus obligeant ; mais pour la première fois que nous nous voyons...

ADOLPHE.

Qu’importe ? moi, je n’ai rien de caché pour mes amis. Au bout de cinq minutes on sait tout de suite ce que je suis, ce que je fais, ce que je veux faire...

Air : À soixante ans, l’on ne doit pas remettre. (Le Dîner de Madelon.)

Moi je suis franc, j’ai la tête légère,
Mais j’ai bon cœur, tout Joigny le dira.
Quelqu’un me plaît, je lui dis sans mystère :
Soyons amis ; voulez-vous ? touchez là.
D’autres peut-être auraient plus de prudence.
Mais ces gens-là me font pitié :
Les jours qu’on passe à lier connaissance
Sont des instants perdus pour l’amitié.

Je vois ce qui vous amène : vous avez quelques réclamations, quelque solde arriérée ; vous êtes peut-être à la demi-solde... c’est possible, il y a tant de braves gens qui en sont là, et vous voulez de l’emploi dans notre régiment ! Vous ne pouviez pas mieux tomber. Nous attendons incessamment un nouveau colonel, un tout jeune homme à ce qu’on dit, qui donne les plus belles espérances ; et comme on prétend que dans ce moment il est très en faveur...

GONDREVILLE, souriant, amèrement.

Très en faveur !... Je n’ai rien à démêler avec votre colonel.

ADOLPHE.

J’y suis ; ce nom sur votre valise, cet autre nom poste restante, c’est quelque intrigue amoureuse avec quelque dame de l’endroit, il y en a de fort jolies. Ah çà ! convenons de nos faits, si nous allions nous rencontrer... mais vous pouvez être sur que je respecterai... c’est comme si elle avait un sauf-conduit.

GONDREVILLE.

Non, monsieur, je ne suis point amoureux.

ADOLPHE.

Tant pis ! Moi, monsieur, je le suis comme un fou ; il faut que je vous conte cela. Une jeune personne charmante que, j’ai vue deux ou trois fois à Paris ; tous les talents, toutes les grâces réunies ; mais sa tante (car il y a une tante dans mon histoire), cette tante m’a desservi auprès d’elle ; et j’allais me justifier, lorsqu’un ordre du ministre a fait partir ; mon régiment pour cette garnison ! Voilà mon mariage manqué, ma justification impossible ! Je resterai toujours garçon, peut-être même mauvais sujet ; je vous demande s’il y a de ma faute, et si, en pareil cas, on ne doit pas rendre les ministres responsables.

GONDREVILLE, souriant.

En effet, monsieur, vous avez, je l’avoue, grand sujet de vous plaindre ; mais tout en vous remerciant de vos offres obligeantes, permettez-moi de n’en pas profiter, et de me contenir seulement du plaisir que m’a procuré cette aimable rencontre.

Ils se saluent, et Gondreville entre dans l’appartement à gauche.

 

 

Scène III

 

ADOLPHE, seul

 

Eh bien ! voyez-vous, c’est un sournois : impossible de lui arracher une parole ! je n’aime pas ces gens-là. Moi je parle de mon Élise à tout le monde ; c’est si naturel !

Air de Téniers.

Ainsi qu’aux jours de la chevalerie,
En tous lieux j’aime à publier
Que mon Élise est aimable et jolie,
Et que je suis son chevalier !
Aimant tout seul, je puis bien sans alarmes
À chacun dire mon secret.
Ah ! que ne suis-je à l’instant plein de charmes
Où je serai forcé d’être discret !

Ah ! si je pouvais retourner à Paris, obtenir seulement une permission de trois ou quatre jours, j’en resterais huit ; on me mettrait un mois aux arrêts ; mais c’est égal, je l’aurais vue. Et pourquoi pas ? Ce nouveau colonel qui doit nous arriver d’un jour à l’autre, ce M. de Gondreville, on dit que c’est un jeune homme aimable et galant ; un luron d’ailleurs, qui dans nos dernières guerres enleva une redoute presque à lui tout seul, et qui se bat comme un diable. Il est impossible que ce ne soit pas un bon enfant ; il m’accordera sans peine... Je vais y penser en déjeunant. Eh ! parbleu ! je savais bien que je voulais quelque chose. Holà ! les garçons ! l’auberge ! eh bien ! corbleu ! mon déjeuner ; voilà une heure que je l’ai demandé !

 

 

Scène IV

 

ADOLPHE, CADET

 

CADET.

Ah ! ça, monsieur, je puis vous assurer que c’est la première fois...

ADOLPHE.

La première fois ! ne te l’ai-je pas encore demandé hier ? Allons, et qu’on me serve promptement ; sinon, gare à tes oreilles !

Il sort.

 

 

Scène V

 

CADET, seul

 

C’est ça ! gare à tes oreilles ! gare à tes oreilles ! ils n’ont pas d’autre refrain ; ça finit par me les échauffer à moi. Avec ces maudits officiers, il n’y a pas de plaisir ; ce n’est pas comme avec les autres voyageurs... ça me divertit de les faire attendre ! C’est si amusant quand on se fâche, quand on s’impatiente ! et je peux bien dire que je m’amuse joliment ici. Allons, allons, encore une chaise de poste qui entre dans la cour ; il n’y avait pas déjà assez de monde comme ça ! Par exemple, ceux-là ne risquent rien d’attendre ; je vais commencer par servir mes officiers... C’est que je tiens beaucoup à mes oreilles.

Il sort.

 

 

Scène VI

 

MADAME DE GONDREVILLE, ÉLISE

 

MADAME DE GONDREVILLE, à la cantonade.

Eh bien ! monsieur, le n° 3, comme vous voudrez. Nous avons assez de peine pour avoir une mauvaise chambre.

ÉLISE.

Oui, je m’aperçois que deux femmes seules en voyage ne se font pas obéir facilement.

MADAME DE GONDREVILLE.

Je t’en avais prévenue, ma chère Élise ; mais tu as voulu te dévouer.

ÉLISE.

Pouvais-je te laisser partir seule, toi, ma compagne d’enfance, ma cousine et ma meilleure amie, lorsque tu vas, loin du monde et de Paris, rejoindre un époux malheureux, exilé ? D’ailleurs, depuis ton mariage, je n’ai pas encore vu M. de Gondreville ; il faut que tu me présentes à lui. Il s’ennuie dans sa solitude ; sois tranquille, nous voilà : nous lui ferons de la musique, des romans, de la tapisserie et de la politique ; il se croira dans un salon de Paris. Mais, dis-moi, arrivons-nous bientôt ? où sommes-nous ?

MADAME DE GONDREVILLE.

Presque à moitié chemin, à Joigny. Tu sais que M. de Gondreville, forcé de quitter Paris pour cette maudite affaire d’honneur, a été exilé à soixante lieues ; et comme nous avons en Bourgogne une terre à peu près à cette distance...

ÉLISE.

Soixante lieues !

MADAME DE GONDREVILLE.

Ah ! je conçois ; te voilà bien loin de Paris, de tes adorateurs, de M. Adolphe ; car, tu as beau dire, il t’occupait un peu.

ÉLISE.

M. Adolphe !... Non, je conviens que d’abord il m’amusait, et c’est beaucoup ; surtout chez ma tante, madame de Lussan, la maison de tout le Marais où peut-être on s’amuse le moins ; mais ma tante, mes amis m’ont dit tant de mal de M. Adolphe que je ne m’occupe plus de lui ; je crois même que je l’ai oublié ; et moi d’abord, si jamais je me marie, je ne veux choisir qu’un homme raisonnable, si c’est possible.

MADAME DE GONDREVILLE.

À la bonne heure ! Nous ne risquons rien de chercher ; nous sommes en route. Mais je ne m’aperçois pas qu’on nous serve...

ÉLISE.

Attends ; je vais sonner.

Elle va à la table et sonne plusieurs fois.

MADAME DE GONDREVILLE.

C’est étonnant comme on arrive !

ÉLISE.

Et le plus agréable, c’est qu’il en est ainsi dans toutes les auberges ; et partout cependant nous payons double.

MADAME DE GONDREVILLE.

Oui ; c’est toi qui tiens la bourse, et il me semble que tu y vas un peu lestement.

ÉLISE.

Nous n’en allons pas plus vite ; jusqu’aux postillons qui s’endorment sur leurs chevaux ! ils ont tous l’air de dire : Ce sont des femmes, il n’y a pas besoin de se presser ; et moi j’ai beau leur répéter avec cette voix que M. Adolphe trouvait si douce : « Postillon, mon cher ami, je vous prie de me faire l’amitié d’aller un peu plus vite, » ils n’en donnent pas un coup de fouet de plus.

MADAME DE GONDREVILLE.

Ah ! si mon mari était avec nous !

ÉLISE.

Sans doute, il faudrait se fâcher, se mettre en colère. Les hommes s’en acquittent si bien et si aisément ! Mais nous, nous n’arriverons jamais !

MADAME DE GONDREVILLE.

Je m’en doutais bien, et à notre départ j’ai été presque tentée de te faire une proposition : c’était de t’habiller en homme, et de me servir de chevalier.

ÉLISE.

Moi ! ton chevalier ! c’eût été délicieux ! Eh ! mais il en est encore temps. Nous sommes à peine à moitié route. Cela ira à merveille, et nous allons faire le voyage le plus gai et le plus amusant... Rien que l’habit militaire suffit pour imposer. Son influence fait accourir les garçons, avancer les postillons, et diminuer le mémoire de l’aubergiste.

MADAME DE GONDREVILLE.

Cela ne fera pas mal ; car nous n’avons, je crois, qu’une quinzaine de louis.

ÉLISE, tirant une bourse de son sac.

Douze ! mais c’est assez pour faire trente lieues, surtout grâce au privilège économique de l’uniforme. Tu verras.

Air : Depuis longtemps j’aimais Adèle.

N’avons-nous pas cet habit militaire
Que nous portions à ton jeune cousin ?
Il a seize ans ; j’ai sa taille, et j’espère
Le remplacer...

MADAME DE GONDREVILLE.

Quoi ! c’est là ton dessein ?
Vaillant héros ! je crains au fond de l’âme
De te voir bientôt m’oublier :
Chaque guerrier va te choisir pour dame ;
Chaque dame pour chevalier.

ÉLISE.

Cela ira à merveille !

MADAME DE GONDREVILLE.

Air du vaudeville de Voltaire chez Ninon.

Dépêchons-nous ! ah ! quel plaisir !

ÉLISE.

Dans un instant je serai prête.

MADAME DE GONDREVILLE.

Surtout ne va pas te trahir.

ÉLISE.

Sois tranquille, j’ai de la tête.

MADAME DE GONDREVILLE.

Prendras-tu bien le ton du jour ?

ÉLISE.

J’ai de l’esprit, tu peux m’en croire.

MADAME DE GONDREVILLE.

Sais-tu comment on fait la cour ?

ÉLISE.

Ne crains rien, j’ai de la mémoire.

Air de la valse du Sultan du Havre.

Allons, allons, pour t’obliger
Je deviens militaire,
Et si tu cours quelque danger,
Je veux te protéger.
En me voyant chacun dira, j’espère,
Que les combats pour moi ne sont qu’un jeu ;
Je vais parler de sièges et de guerre ;
Même je crois que je dirai... morbleu !

MADAME DE GONDREVILLE, parlant.

Tu crois que tu dirais morbleu !

ÉLISE, parlant.

Je le dirai très bien. Et même...

Faisant signe de mettre des moustaches.

Tu verras.

Ensemble.

MADAME DE GONDREVILLE.

Allons, allons, pour m’obliger, etc.

ÉLISE.

Allons, allons, pour t’obliger, etc.

Elle sort, et entre dans l’appartement à droite.

 

 

Scène VII

 

MADAME DE GONDREVILLE, puis ADOLPHE

 

MADAME DE GONDREVILLE.

Cette chère Élise ! Combien elle mérite toute mon amitié ! combien je désire la voir heureuse ! et quel dommage si elle se fût attachée à ce mauvais sujet !

ADOLPHE, sortant de la chambre en fredonnant.

Oui, c’en est fait, je me marie ;
Je veux vivre comme un Caton...

Diable ! une jolie femme que je n’avais pas encore aperçue !

Ils se saluent.

Madame attend peut-être ses gens ou quelqu’un de l’auberge ?

MADAME DE GONDREVILLE.

Oui, monsieur, nous avions demandé...

ADOLPHE.

Ils ne vous le donneront pas, madame, vous pouvez en être sûre ; et si j’osais vous offrir mes services...

MADAME DE GONDREVILLE.

Vous êtes mille fois trop bon. Il ne nous faut que des chevaux, et nous repartons à l’instant.

ADOLPHE.

Il vous faut des chevaux ! Ah ! que c’est heureux !... (pour moi du moins...) Il n’y en a pas, madame. Un voyageur, un militaire vient d’en demander, et il est obligé d’attendre. Je sais que cette auberge n’est pas fort agréable ; mais une heure est bientôt passée ; d’ailleurs Joigny n’est pas une ville à dédaigner.

Air de Catel.

Premier couplet.

La ville est bien, l’air est très pur ;
Chaque aubergiste est très honnête,
Pourvu que chez lui l’on s’arrête ;
Le vin peut-être est un peu sûr,
Mais jamais ne porte à la tête.

Lui montrant la croisée.

Vous voyez l’Yonne d’ici ;
Car, par un soin bien salutaire,
À côté du vin de Joigny
Le ciel a placé la rivière.

Deuxième couplet.

Nous avons un pont élégant ;
Nous avons une cathédrale,
Une garde nationale,
Un athénée, un président ;
On se croit dans la capitale.

MADAME DE GONDREVILLE, souriant.

Oui, tout ce qu’on voit à Joigny
Est digne enfin de notre hommage.

ADOLPHE, la regardant.

Mais ce qu’on y voit aujourd’hui
Mériterait seul le voyage.

Les rues, il est vrai, sont étroites, tortueuses, difficiles à gravir ; mais avec un bras... et je serais si heureux de pouvoir offrir le mien à madame !

MADAME DE GONDREVILLE.

En vérité, monsieur, vous avez un fonds d’obligeance...

ADOLPHE.

Bien naturel sans doute. Je suis militaire en garnison dans cette ville, et comme tel je suis obligé d’en faire les honneurs. Je suis bien indiscret, peut-être, n’ayant pas le bonheur de vous connaître ; mais c’est là un de mes grands défauts. Je n’ai jamais pu me décider à regarder une jolie femme comme une étrangère.

MADAME DE GONDREVILLE, à part.

En conscience, il n’y a pas moyen de se fâcher.

ADOLPHE.

Et puis, il est si rare de rencontrer dans cette ville une tournure distinguée, une physionomie parisienne ! car madame arrive de Paris, j’en suis sûr ; et moi j’adore tout ce qui vient de Paris.

MADAME DE GONDREVILLE, souriant.

Eh, mon Dieu ! prenez garde ; il ne tiendrait qu’à moi de prendre cela pour une déclaration.

ADOLPHE.

Eh bien ! quand il serait vrai, vous êtes trop juste pour m’en faire un crime. Il est de ces rencontres, de ces fatalités où il n’y a de la faute de personne.

MADAME DE GONDREVILLE, à part.

Allons, nous voilà en conversation réglée.

ADOLPHE.

Et vous n’êtes pas plus coupable de me paraître charmante que je ne le suis, moi, de vous le dire.

MADAME DE GONDREVILLE.

Air du Pot de fleurs.

C’est effrayant, quelle flamme subite !

ADOLPHE.

Chez moi l’amour vient à grands pas.

MADAME DE GONDREVILLE.

Il doit alors partir encor plus vite.

ADOLPHE.

Non ; vous ne me connaissez pas.
En trahisons le siècle abonde ;
Je l’avouerai, j’en suis honteux pour lui ;
On n’est fidèle à personne aujourd’hui,
Moi je le suis à tout le monde.

 

 

Scène VIII

 

MADAME DE GONDREVILLE, ÉLISE, en uniforme très élégant, ADOLPHE, qui est très près de Madame de Gondreville

 

ÉLISE, dans le fond.

Il me semble que je fais bien d’arriver.

MADAME DE GONDREVILLE, l’apercevant.

Eh ! venez donc, mon ami.

Le présentant à Adolphe.

C’est mon mari, monsieur, que je vous présente, et devant qui vous pouvez continuer la conversation.

ADOLPHE, à part, en détournant la tête.

Ah ! il y a un mari ; diable !

S’avançant pour saluer Élise.

Monsieur...

La regardant.

En croirai-je mes yeux !

ÉLISE, de même, bas à Madame de Gondreville.

C’est lui, c’est Adolphe !

ADOLPHE, avec émotion.

J’avoue, monsieur, que votre vue me cause une surprise...

Mettant la main sur son cœur.

Il y a peu de ressemblances aussi frappantes... une demoiselle charmante que j’ai eu le bonheur de rencontrer (deux fois seulement, il est vrai) chez madame de Lussan...

MADAME DE GONDREVILLE.

C’est sans doute mademoiselle Élise que vous voulez dire.

ADOLPHE.

Élise ! vous la connaissez ?

MADAME DE GONDREVILLE, faisant signe à Élise.

C’est la sœur de mon mari.

ÉLISE, hésitant.

Oui, monsieur, c’est ma sœur.

ADOLPHE.

Votre sœur ! il serait vrai ! Ah, madame ! ah, monsieur ! combien j’ai d’excuses à vous faire ! Vous êtes parents de madame de Lussan, femme respectable, qui daignait m’honorer d’une estime particulière... la société la plus aimable, la plus amusante ! j’y allais presque tous les jours, et je serais trop heureux de pouvoir m’acquitter envers vous de tout ce que je lui dois. Quand vous êtes arrivé, je faisais à madame des offres de service... Mais ne puis-je savoir à qui j’ai l’honneur de parler, et quel est le nom de votre mari ?

MADAME DE GONDREVILLE.

M. de Gondreville.

ADOLPHE.

Comment ! il serait possible ! M. de Gondreville qui a servi en Allemagne ?

MADAME DE GONDREVILLE.

Oui, monsieur.

ADOLPHE.

Qui a eu dernièrement une affaire d’honneur, et qui a été exilé dans ses terres ?

MADAME DE GONDREVILLE.

Oui, monsieur.

ADOLPHE.

Enfin qui vient d’être rappelé à la cour, et nommé colonel ?

MADAME DE GONDREVILLE.

Que dites-vous ? mon mari rappelé à la cour, et nommé colonel !

ADOLPHE.

Comment ! vous ne le saviez pas encore ?

Donnant à Élise une poignée de main.

Colonel, que je sois le premier à vous faire mon compliment. Le courrier qui nous l’a annoncé hier nous avait bien dit que vous étiez loin de vous en douter. Aussi nous ne vous attendions que dans deux ou trois jours. Mais vous voilà, nous sommes trop heureux ! Je cours répandre cette bonne nouvelle.

ÉLISE.

Comment, monsieur, que signifie...

ADOLPHE.

Que votre régiment est ici, le 12e de hussards en garnison à Joigny ; un régiment superbe, toutes vieilles moustaches, car tout le monde n’a pas le môme bonheur que vous, colonel ; à peine entré dans la carrière, vous êtes déjà, vieux par vos exploits.

ÉLISE.

Monsieur...

ADOLPHE.

On nous disait bien que notre colonel était un jeune homme.

Air du vaudeville de La Robe et les Bottes.

À dix-huit ans forteresse et redoute,
Tout lui cédait, tout recevait ses lois ;
Même on disait... madame nous écoute,
Et je tairai d’autres exploits.
Tant de jeunesse et tant de renommée
Ont droit pourtant de m’étonner ici.

MADAME DE GONDREVILLE.

Oui, j’en conviens, toute l’armée
Ne compte pas deux guerriers tels que lui.

ADOLPHE.

D’honneur, vous serez content : la ville est excellente, et le régiment y est très bien vu ; tous les soirs notre musique fait danser les dames... je suis sûr que cela ne vous déplaira pas, parce qu’en garnison il faut bien... vous comprenez. Tous les matins de grandes manœuvres de cavalerie, qui font l’admiration de tous les bourgeois de Pont-sur-Yonne et de Villeneuve-la-Guyard ; car on vient nous voir de dix lieues à la ronde... mais aujourd’hui nous allons nous distinguer, et je cours faire sonner le boute-selle.

ÉLISE.

Mais, monsieur...

ADOLPHE.

Je comprends, vous n’avez pas vos chevaux ; je serai trop heureux de vous offrir un des miens : j’ai un alezan superbe, un peu vif, qui l’autre jour m’a jeté par terre ; mais c’était une distraction, et en vous tenant en selle vous ne risquez rien.

ÉLISE.

Monsieur, je vous remercie infiniment ; mais j’aurais un mot à dire à ma femme.

ADOLPHE, se retirant.

Comment donc, colonel !

ÉLISE, bas à Madame de Gondreville.

Je te préviens que je ne veux pas rester plus longtemps colonel, et surtout d’un régiment comme celui-là ; je n’ai pas envie de commander des manœuvres de cavalerie, et je ne puis cependant pas lui déclarer maintenant qui je suis.

MADAME DE GONDREVILLE.

Je t’en supplie, conserve encore le commandement ; ce ne sera pas long, un quart d’heure tout au plus ; je vais m’informer, et, à quelque prix que ce soit, retenir des chevaux... Je suis d’une joie, d’un ravissement ! Mon mari colonel ! il me tarde d’être partie pour aller lui annoncer les bonnes nouvelles que je viens d’apprendre.

Elle sort.

 

 

Scène IX

 

ÉLISE, ADOLPHE

 

ÉLISE, à part.

Eh bien ! elle me laisse là en tête à tête.

ADOLPHE, de même.

Comment ! c’est là le frère d’Élise ! je ne trouverai jamais une plus belle occasion de me mettre bien avec la famille. On dit que le colonel est un peu mauvais sujet ; il est impossible que nous ne finissions pas par nous entendre.

À Élise.

Je vous fais compliment, colonel, vous avez là une femme charmante, et vous avez l’air de l’aimer passionnément.

ÉLISE.

Passionnément, non ; vous ne me connaissez pas.

ADOLPHE, souriant.

Si vraiment.., je comprends bien...

À part.

On avait raison ; c’est un luron.

Air du Ménage de garçon.

Dans notre état jamais de gêne ;
Tous les maris, partout ailleurs,
De l’hymen connaissent les chaînes ;
Nous n’en avons que les douceurs.
En prenant femme, un militaire
A le double agrément, dit-on,
De n’être plus célibataire
Et de vivre comme un garçon.

ÉLISE, étonnée.

Comment, monsieur !

ADOLPHE.

Oui, cela n’empêche pas de rendre justice au mérite quand il se rencontre : chaque genre de beauté a le sien ; moi je ne suis pas exclusif...

ÉLISE.

Oui, je vois que vous n’y mettez pas d’esprit de parti, que tout le monde a droit à vos hommages, et que monsieur devient aisément amoureux.

ADOLPHE.

Mais comme vous, colonel, peu et souvent ; je crois que c’est le meilleur régime.

Air de la Tancrède.

À part.

Bien, bien ! il est ravi :
J’espère
Lui plaire ;
Oui, j’espère aujourd’hui
M’en faire un ami.

ÉLISE.

Quoi ! chaque belle...

ADOLPHE.

A des droits à mes vœux ;
Je suis près d’elle
Brûlé des plus beaux feux.

ÉLISE.

À qui vous écoute
Vous le dites.

ADOLPHE.

Sans doute ;
Vous le savez bien :
On le dit...

ÉLISE.

Eh bien ?

ADOLPHE.

Et l’on n’en pense rien.

Ensemble.

ADOLPHE.

Bon, bon ! il est ravi :
J’espère
Lui plaire ;
Oui, j’espère aujourd’hui
M’en faire un ami.

ÉLISE.

Oui, c’est indigne à lui...
Dieux ! quel caractère !
Pour jamais aujourd’hui
Je renonce à lui.

ADOLPHE.

Lorsque je gagne,
Le jeu me plait beaucoup,
Et le champagne
Est assez démon goût :
Mais à bien boire
Je ne mets point ma gloire ;
Si je bois
Parfois,
C’est âmes amours...
Et j’aime tous les jours.

Ensemble.

ÉLISE.

Oui, c’est indigne à lui, etc.

ADOLPHE.

Bon, bon, il est ravi, etc.

ÉLISE.

Mais, dites-moi, monsieur, si votre exemple devenait contagieux, si les femmes voulaient imiter cette légèreté dont vous vous faites gloire, et changera leur tour ?

ADOLPHE.

Ah ! colonel, des femmes, c’est bien différent.

ÉLISE.

Ainsi, monsieur, vous faites des lois pour vous seul ?

ADOLPHE.

Je les fais pour vous comme pour moi.

À part.

Qu’est-ce qu’il a donc, le colonel ?

Haut.

Je vois que vous êtes fâché, parce que vous croyez que j’ai fait la cour à votre femme... Eh bien ! vous avez tort, et si j’osais, je vous ferais un aveu... c’est que ça va me nuire dans votre esprit, et peut-être me faire perdre l’estime que vous avez déjà pour moi.

ÉLISE.

Rassurez-vous, monsieur ; mon opinion sur vous est fixée, et rien désormais ne pourrait m’en faire changer.

ADOLPHE.

Ma foi, alors je ne risque rien. Eh bien ! colonel, je vous avoue que je suis amoureux à en perdre la tête ! Je sais ce que vous allez me dire, que cela ne convient pas à un militaire, que cela peut nuire à ses devoirs, à son avancement ; ce n’est rien encore, et quand vous saurez quelle est la personne, vous vous fâcherez peut-être ; mais, voyez-vous, moi, il m’est impossible de rien cacher ; et puisqu’il faut vous le dire, celle que j’adore, c’est votre sœur.

ÉLISE.

Comment, monsieur !

ADOLPHE.

Oh ! j’étais bien sûr que cela vous fâcherait.

ÉLISE.

Non, monsieur, non, je ne me fâche pas ; je ne peux pas vous empêcher d’aimer ma sœur.

ADOLPHE.

Ah ! c’est tout ce que je vous demande.

ÉLISE.

Comment ! est-ce que vous croyez que de son côté...

ADOLPHE.

Élise ? Du tout ; au contraire, je suis sûr que je lui ai déplu ; je l’ai lu dans ses yeux, et j’en ai été enchanté. J’avais trop bonne opinion de son jugement et de sa raison pour croire qu’un étourdi put lui plaire ; mais enfin un étourdi peut devenir un homme de mérite, et c’est en vous, colonel, que je mets tout mon espoir ; dites seulement à votre sœur de prendre patience, et d’attendre la première bataille ; je ne lui en demande pas davantage.

Air de Préville et Taconnet.

En prononçant le nom d’Élise
Tous deux gaîment nous chargeons l’ennemi :
Il est battu, la ville est prise,
Et je suis blessé, Dieu merci !
Qu’une blessure rend aimable !
Quel intérêt je lui vais inspirer !
Un bras de moins, je peux tout espérer !
Eh ! qui sait même ! un boulet favorable
Peut m’emporter et me faire adorer.

ÉLISE, à part.

Allons, il a du bon, et l’on aurait eu tort de le condamner sur les apparences.

Haut.

Monsieur Adolphe, je vous avais mal jugé, et pour m’en punir, je crois que je parlerai pour vous.

ADOLPHE, la serrant dans ses bras.

Ah ! mon colonel !

ÉLISE, s’éloignant.

Un instant !... il n’est pas nécessaire...

ADOLPHE.

Vous n’aurez pas dans tout le régiment d’officier plus dévoué ; vous me verrez toujours à vos côtés, je ne vous quitte plus ni le jour ni... À propos, il faut que je vous mette au fait : on craignait au régiment que vous ne fussiez un peu sévère, un peu rigide, et pour notre arrivée (ça, colonel, c’est un conseil que je me permets de vous donner, et vous en ferez ce que vous voudrez), il me semble que si vous donniez un petit déjeuner à l’état-major, cela produirait le meilleur effet.

ÉLISE.

Mais je vous avoue...

ADOLPHE.

Vous êtes de mon avis ; j’en étais sûr.

Appelant.

Holà ! quelqu’un, le garçon !... Soyez tranquille, je me charge d’arranger tout cela.

 

 

Scène X

 

ÉLISE, ADOLPHE, CADET

 

ADOLPHE.

Un déjeuner pour vingt personnes ; tout ce qu’il y aura de plus délicat dans toute la ville de Joigny ; enfin, qu’on n’épargne rien.

À Élise.

Vous sentez comme moi que quand on fait les choses...

À Cadet.

Vingt personnes, entends-tu, et le plus bel appartement.

CADET.

Soyez tranquille ; nous avons le salon de cent couverts ; en vous serrant un peu, il est impossible que vous n’y teniez pas à l’aise.

ÉLISE, tirant sa bourse.

Oui ; mais du train dont vous y allez, je ne sais pas même si j’ai là...

ADOLPHE, prenant la bourse et la jetant à Cadet.

C’est égal ; c’est un à-compte ; et si ce n’est pas assez, la parole du colonel suffit.

À Élise.

Ce que j’ai fait est dans vos intérêts. Je cours prévenir tout l’état-major, faire moi-même vos invitations, et dans un moment nous viendrons en corps vous présenter nos hommages.

Air du vaudeville des Gascons.

Ah ! quel plaisir ! dans un moment,
À table,
Quel désordre aimable !
Ah ! quel plaisir ! rien n’est charmant
Comme un repas de régiment.

Vous allez voir chacun des nôtres
Boire gaiement à ses exploits ;
Et vous devez, d’après nos lois.
Boire trois fois plus que les autres.

Ensemble.

ÉLISE.

Le beau plaisir ! dans un moment,
À table,
Quel désordre aimable !
Pour une femme, il est charmant
De traiter tout un régiment.

ADOLPHE.

Ah ! quel plaisir ! dans un moment, etc.

Il sort avec Cadet.

 

 

Scène XI

 

ÉLISE, puis MADAME DE GONDREVILLE

 

ÉLISE.

En vérité, je ne sais plus où j’en suis : c’est un feu, une vivacité ; à peine si l’on a le temps de se reconnaître.

MADAME DE GONDREVILLE.

Ah ! te voilà. Il vient d’arriver des chevaux ; ils étaient retenus par un voyageur qui attend depuis une heure ; mais j’ai promis un louis au postillon, et il va atteler. Payons vite, et partons.

ÉLISE.

Payer, payer ! je n’ai plus d’argent.

MADAME DE GONDREVILLE.

Comment ! tu n’as plus d’argent ?

ÉLISE.

Eh ! mon Dieu non ! puisque je donne à déjeuner à l’état-major de mon régiment, c’est-à-dire ton régiment, car je n’y tiens pas du tout.

MADAME DE GONDREVILLE.

Comment ! tu vas donner un déjeuner quand nous n’avons que ce qu’il nous faut pour faire notre route ?

ÉLISE.

Mais ce n’est pas ma faute ; c’est M. Adolphe qui a commandé, qui a payé, avec notre bourse. Je ne sais comment cela s’est fait... mais il n’y a qu’un moyen : c’est de tout déclarer à l’aubergiste, de lui emprunter de l’argent et de partir.

MADAME DE GONDREVILLE.

Y penses-tu ? cet homme qui ne nous connaît pas voudra-t-il nous croire sur parole ? d’ailleurs ce mystère, ce déguisement ! pour qui nous prendra-t-il ? Il vaut encore mieux se confier à M. Adolphe.

ÉLISE.

C’est impossible, après ce qui vient d’arriver... Je ne te cacherai pas qu’il ne m’a parlé que de son amour, qu’il m’a fait une déclaration...

MADAME DE GONDREVILLE.

Eh bien ! il m’en a fait une aussi.

ÉLISE.

Oui ; mais moi, c’est bien différent, je ne me suis pas fâchée, j’ai même promis de le servir. Il le fallait bien sous ce maudit habit ! Juge donc un peu quelle situation était la mienne.

Air du vaudeville de Turenne.

Il me vantait mes charmes à moi-même,
Et je ne pouvais pas rougir ;
Il me disait : C’est Élise que j’aime,
Et j’écoutais pour ne pas nous trahir.
Il m’engageait enfin à lui promettre
D’aimer aussi, j’ai dû m’y résigner...

MADAME DE GONDREVILLE.

Voyez pourtant où peut mener
La crainte de se compromettre !

Eh ! mon Dieu ! quel est ce bruit ?

ÉLISE.

Ce sont mes invités qui arrivent. Aide-moi au moins à faire les honneurs. Une femme de colonel ! Tu es bien heureuse toi, tu es dans ton rôle.

MADAME DE GONDREVILLE.

Mais, regarde donc toi-même comme je suis !... en habit de voyage.

ÉLISE.

Bah ! ce ne sera rien, en arrangeant un peu tes cheveux.

MADAME DE GONDREVILLE.

Et toi, ton épaulette qui n’est seulement point passée.

ÉLISE.

Ah ! c’est que je n’ai jamais pu en venir à bout. Dépêche-toi donc.

Élise arrange les cheveux de madame de Gondreville pendant que celle-ci rattache son épaulette.

 

 

Scène XII

 

ÉLISE, MADAME DE GONDREVILLE, ADOLPHE et TROIS OFFICIERS s’arrêtant dans le fond

 

ÉLISE, les apercevant.

Ah ! mon Dieu !

ADOLPHE et LES TROIS OFFICIERS.

Air : Amis, bravons les chaleurs de l’été. (Cadichon.)

Honneur (Bis.) au jeune colonel
Qui doit un jour nous mener à la gloire !
Tous, d’un, accord sincère et fraternel,
Nous lui jurons dévouement éternel.

ÉLISE, à Madame de Gondreville.

Que leur dire ? 

MADAME DE GONDREVILLE.

Tout ce qui te viendra à la tête.

ÉLISE, continuant l’air.

Je suis sensible, enfants de la victoire,
À ces transports, à ces vœux éclatants ;
Ils resteront gravés dans ma mémoire :
De pareils jours on se souvient longtemps.

ADOLPHE et LES TROIS OFFICIERS.

Honneur (Bis.) au jeune colonel, etc.

ADOLPHE.

Mon colonel, nos camarades vous attendent dans la salle à côté ; mais ces messieurs avaient ù vous parler d’affaires importantes qu’on allait expédier, et puisque vous voilà arrivé...

Le quartier-maître s’avance et salue le colonel en portant la main à son schako ; Élise va pour lui rendre son salut, madame de Gondreville l’arrête.

ÉLISE, bas à Madame de Gondreville.

Quel est ce monsieur-là ?

MADAME DE GONDREVILLE.

C’est le quartier-maître !

ÉLISE.

Ah ! c’est...

Au quartier-maître qui lui présente un papier.

Qu’est ce que c’est que cela ?...

LE QUARTIER-MAÎTRE.

Mon colonel, ce sont les comptes du régiment.

ÉLISE, bas à Madame de Gondreville.

Qu’est-ce qu’il faut dire ?

MADAME DE GONDREVILLE, de même.

Dis que c’est bien !

ÉLISE.

C’est bon ! je verrai, nous examinerons ensemble.

Donnant le papier à madame de Gondreville.

Tiens, mets cela dans ton sac.

LE QUARTIER-MAÎTRE.

Nous venons de voir deux soldats du régiment qui se battaient !

ÉLISE, vivement.

Ah ! mon Dieu ! quelqu’un serait-il blessé ?

LE QUARTIER-MAÎTRE, froidement.

Je ne le crois pas ; mais je les ai toujours fait arrêter.

ÉLISE.

Vous avez très bien fait. Je ne veux pas qu’on se batte du tout, entendez-vous ! qu’est-ce que c’est donc que cela !

ADOLPHE.

C’est à juste titre qu’on nous avait vanté la sagesse du colonel. À son arrivée au régiment, son premier soin est de proscrire cette coutume insensée...

ÉLISE.

Oui, c’est très vilain, et puis on peut se faire mal.

LE QUARTIER-MAÎTRE.

Vous ordonnez donc alors qu’ils soient sévèrement punis ?

ÉLISE.

Du tout. Je veux qu’on ne punisse personne, qu’on leur pardonne, et que cela ne leur arrive plus.

MADAME DE GONDREVILLE, bas à Élise.

Mais, prends donc garde, tu es trop bonne.

 

 

Scène XIII

 

ÉLISE, MADAME DE GONDREVILLE, ADOLPHE, LES TROIS OFFICIERS, CADET

 

CADET.

Ces messieurs sont servis !

ADOLPHE.

Voilà la meilleure nouvelle !

À madame de Gondreville.

Nous n’osons espérer que madame veuille bien être des nôtres ?

ÉLISE.

Pourquoi donc ? je ne veux pas qu’Hortense me quitte.

Bas, à madame de Gondreville.

Ne va pas m’abandonner, au moins !

ADOLPHE, à part.

Allons, décidément il est jaloux !

Haut.

C’est que quelquefois les déjeuners d’officiers sont un peu gais.

Bas à Élise.

Vous savez... de ces choses qu’une femme ne peut guère entendre.

ÉLISE, à part.

Ah ! mon Dieu !

ADOLPHE.

Mais c’est égal. N’oubliez pas, mon colonel, que c’est à vous de porter tous les toasts, et de nous faire raison.

Aux autres officiers.

Parbleu ! je veux griser le colonel !

Air de La Joconde (arrangé en contredanse).

Allons, messieurs, mettons-nous à table ;
Le déjeuner nous attend ;
Allons, à ce banquet aimable,
Fêter notre commandant.
Oui, morbleu ! du nom militaire
Nous soutiendrons le décorum,
Et gaîment nous allons, j’espère,
Sabler le Champagne et le rhum.

MADAME DE GONDREVILLE, à part.

Ah ! c’est fait de nous, je le jure.

ÉLISE, de même.

Moi qui ne bois que de l’eau pure !

ADOLPHE.

Je le place entre deux flacons,
Et du colonel je réponds.

LE CHŒUR.

Allons, messieurs, mettons-nous à table, etc.

Adolphe offre la main à madame de Gondreville. Élise tend la main comme pour accepter celle d’un cavalier. Ils entrent tous dans une salle à droite.

 

 

Scène XIV

 

CADET, seul

 

Vont-ils s’en donner ! vont-ils s’en donner !... C’est singulier ! ce colonel me fait l’effet d’un luron manqué ; ça m’a l’air d’un militaire comme moi ; encore je suis bien sûr que si j’étais à la tête de son régiment, j’aurais une autre tournure. Je me vois, moi, sur un cheval de bataille.

Ayant l’air de faire caracoler un cheval.

St’, St’ St’... Car j’ai toujours aimé la cavalerie.

 

 

Scène XV

 

CADET, GONDREVILLE, tenant une lettre à la main

 

CADET, s’arrêtant.

Ah ! mon Dieu ! v’là de l’infanterie. C’est ce monsieur qui depuis une heure avait demandé des chevaux.

À M. de Gondreville.

Monsieur, on vous a remis ce paquet que vous aviez demandé, adressé à M. Leblanc, poste restante. Il était arrivé d’hier au soir. C’est moi qui avais fait une bêtise.

GONDREVILLE, lisant toujours.

C’est bien, il n’y a pas grand mal.

CADET.

Quant aux chevaux, vous n’en aurez pas encore.

GONDREVILLE, froidement.

C’est bon.

CADET.

Mais, en revanche, vous ne risquez rien d’attendre, parce qu’on vient de prendre ceux qui vous étaient destinés.

GONDREVILLE.

Ça m’est égal.

CADET, à part.

Eh bien ! avec celui-là il n’y a pas d’agrément ; il est toujours content.

Haut.

Vous ne vous mettez donc pas en colère, monsieur, vous, cependant, qui étiez si pressé ?

GONDREVILLE.

Je ne le suis plus. Je reste.

À part, et montrant la lettre qu’il tient.

Je ne m’attendais pas à un pareil bonheur. Moi, rappelé ! nommé colonel au 12e de hussards ! Ma foi, voilà mon voyage fini ; et maintenant je n’irai plus à Paris que pour remercier.

À Cadet.

Fais-moi donner à déjeuner ; je me sens en état d’y faire honneur.

CADET.

Dame ! monsieur, pour le moment, c’est difficile.

GONDREVILLE.

Ah çà, je vois que mon jeune capitaine avait raison : il n’y a donc rien ici ?

CADET.

Au contraire, monsieur ; c’est parce qu’il y a trop. Tout l’état-major du 12e de hussards est là à déjeuner dans la salle à côté ; ils célèbrent l’arrivée de leur nouveau colonel.

GONDREVILLE, à part.

Comment donc ! c’est très aimable à eux, et je vois que mes jeunes officiers sont charmants ; mais c’est à moi de les traiter, et je ne souffrirai pas...

À Cadet.

Dis-moi, qui est-ce qui paie le déjeuner ?

CADET.

Eh bien ! c’est le nouveau colonel, M. de Gondreville ; un fameux déjeuner !

GONDREVILLE.

Comment dis-tu ? M. de Gondreville ?

CADET.

Oui, il est là avec les officiers de son régiment et puis sa femme ; une petite femme charmante, des yeux bleus ; et ils ont l’air de s’aimer !... Il ne l’appelait que sa chère Hortense !

GONDREVILLE.

Hortense !

CADET.

Et ils arrivent ensemble de Paris, tête à tête dans une chaise de poste. C’est-y gentil !

GONDREVILLE, à part.

Morbleu !...

Se reprenant.

Allons, contraignons-nous ! Il faut éclaircir ce mystère !

À Cadet.

Va-t’en, et laisse-moi.

CADET, à part.

Qu’est-ce qui lui prend donc ?

À M. de Gondreville.

Tenez, voilà le colonel lui-même qui sort de la salle à manger.

Il sort.

 

 

Scène XVI

 

GONDREVILLE, se tenant un peu à l’écart et examinant Élise, ÉLISE, l’air un peu étourdi et portant la main à son front

 

ÉLISE.

Ah ! je suis tout étourdie. Ils diront ce qu’ils voudront, je suis sortie de table ; un bruit, un tapage ! Ah ! que c’est mauvais, du rhum ! ils m’en ont pourtant fait prendre presque un demi-verre ; et M. Adolphe, qui voulait toujours boire avec moi à la santé de ma sœur, tandis que les autres buvaient à la santé de ma femme ! Et le régiment qui est rangé en bataille, et qu’il va falloir passer en revue après le déjeuner. Mon Dieu ! comment sortir de là ? les officiers, le régiment, si je pouvais mettre tout ce monde-là aux arrêts et m’en aller !

GONDREVILLE, la saluant.

Monsieur, n’êtes-vous pas le colonel du 12e régiment de hussards ?

ÉLISE.

Oui, monsieur ; on le dit.

GONDREVILLE.

M. de Gondreville ?

ÉLISE.

Oui, monsieur.

GONDREVILLE.

Et vous êtes ici avec madame de Gondreville, avant son mariage mademoiselle Hortense de Lussan ?

ÉLISE.

Sans doute, ma meilleure amie... et ma femme. Est-ce que vous la connaissez ?

GONDREVILLE, froidement.

Oui, beaucoup.

ÉLISE.

Oh ! que c’est heureux ! voilà au moins quelqu’un de raisonnable, et avec qui l’on peut s’entendre.

GONDREVILLE.

Le rôle que vous jouez ici doit vous faire comprendre ce que je viens vous demander. Monsieur peut choisir de l’épée ou du pistolet.

ÉLISE.

Comment ! le pistolet ?

GONDREVILLE.

Je vois que monsieur préfère le sabre. Eh bien ! va pour le sabre. Au fait, c’est notre arme.

ÉLISE.

Ah çà ! monsieur, que signifie ?...

GONDREVILLE.

Oh ! point de bruit, point d’explication, je n’aime pas le scandale : dans dix minutes je suis à vous. Je ne connais ici personne, et vous ferez bien de prendre un second.

Air : Époux imprudent, fils rebelle. (Monsieur Guillaume.)

Sans adieu ! l’honneur vous appelle ;
Un colonel doit en suivre la loi.
Au rendez-vous soyez fidèle ;
Vous m’y verrez, et mon sabre avec moi.

ÉLISE.

Ah ! rien n’égale mon effroi !

GONDREVILLE.

Oui, ses atteintes sont certaines :
Ce fer a su venger jadis
Les injures de mon pays ;
Il saura bien venger les miennes !

Il sort.

 

 

Scène XVII

 

ÉLISE, seule

 

Ah çà ! qu’est-ce qu’ils ont donc tous ? c’est un sort attaché à cet uniforme ! Un duel à présent !... Avec ça, ce grand monsieur n’est pas de mon régiment. Je ne peux pas le faire mettre aux arrêts. Ah ! c’est fini ! je suis tout à fait dégoûtée du service.

 

 

Scène XVIII

 

ÉLISE, ADOLPHE, la serviette à la main

 

ADOLPHE.

Dites-moi donc, colonel, pourquoi nous avez-vous si brusquement quittés ?

ÉLISE.

Ah ! c’est vous, monsieur Adolphe ; imaginez-vous qu’un monsieur que je ne connais pas vient de me chercher querelle...

ADOLPHE, se frottant les mains.

À merveille ! j’avais idée que la journée serait bonne. Et que vous a-t-il dit ?

ÉLISE.

Je ne sais ; il m’a parlé d’Hortense, de duel, de second...

ADOLPHE, vivement.

De second ! Je suis le plus heureux des hommes !

ÉLISE, à part.

Eh bien ! qu’a-t-il donc ? Le voilà enchanté à présent !

ADOLPHE, avec joie.

Il vous faut un second : c’est moi, moi qui vous en servirai. Concevez-vous toute ma joie ! me battre pour le frère de celle que j’aime ! Songez-y donc, colonel ; j’acquiers des droits à son estime, à sa reconnaissance, peut-être même à son amour !

Air de M. Blanchard.

Ah ! cette idée et m’anime et m’enchante ;
De cet instant je bénis la douceur
Et le moyen que le sort me présente
Pour mériter la main de votre sœur.
Fier désormais d’une cause si belle,
Je peux braver tous les coups du destin :
Ou l’épouser, ou bien mourir pour elle ;
Des deux côtés mon bonheur est certain.

ÉLISE, à part.

Ah ! mon Dieu ! le pauvre jeune homme !

Haut.

Et moi, monsieur, je ne veux pas que vous vous battiez ; je ne veux pas que vous soyez tué. Adolphe, je vous en prie, ne me faites pas ce chagrin-là ; et s’il est vrai, monsieur, que vous m’aimiez, vous ne vous battrez pas, n’est-il pas vrai ? Mais voyez un peu quelle idée ! exposer sa vie sans raison.

ADOLPHE.

Sans raison ! et où trouverai-je jamais une plus belle occasion ! Allons, partons. Quelle est l’heure, quel est le lieu du combat ? quelles sont vos armes ?

ÉLISE.

Que sais-je ? je crois qu’il a parlé de sabre.

ADOLPHE, courant à la boîte qui est restée sur la table.

Prenez plutôt le pistolet, j’en ai d’excellents, double détente ;

Les lui présentant par le canon.

tenez, colonel, si vous voulez essayer.

ÉLISE, effrayée.

Ah ! mon Dieu ! non, non ; éloignez-vous, je n’aime pas cela.

ADOLPHE, à part.

Qu’est-ce qu’il a donc, le colonel ? il est d’une prudence !

À Élise.

Parbleu ! ne craignez rien, ils ne sont pas chargés.

Il en tire un, le coup part.

Ils l’étaient, mais c’est égal.

ÉLISE, tombant dans un fauteuil.

Ah !

ADOLPHE.

Eh bien ! le colonel qui se trouve mal... Au secours ! au secours !

Tirant l’autre pistolet en l’air comme pour appeler.

Arrivez donc.

 

 

Scène XIX

 

ÉLISE, ADOLPHE, MADAME DE GONDREVILLE, TOUS LES OFFICIERS, CADET, puis GONDREVILLE

 

MADAME DE GONDREVILLE.

Qu’y a-t-il donc ?

ADOLPHE.

J’en suis encore tout étonné ; c’est le colonel qui vient de s’évanouir !

MADAME DE GONDREVILLE.

Grands dieux ! si j’avais seulement mon flacon, ou le sien.

À cadet.

Un grand carton sur mon secrétaire... Ce ne sera rien, en lui faisant respirer des sels.

ADOLPHE, faisant le geste d’ouvrir le dolman du colonel.

Ou plutôt en donnant un peu d’air !

Cadet entre dans l’appartement à droite, et rapporte un carton ; madame de Gondreville jette de côté des dentelles et des fichus pour prendre le flacon.

MADAME DE GONDREVILLE.

La connaissance lui revient. Eh bien ! comment te trouves-tu ?

Dans ce moment M. de Gondreville sort de son appartement, son sabre sous le bras ; il s’arrête en voyant tout le monde groupé autour d’Élise.

ÉLISE.

Beaucoup mieux ! je t’assure que ce ne sera rien ; c’est M. Adolphe qui m’a fait une frayeur...

Apercevant les ajustements qui sont par terre.

Ah ! mon Dieu ! mes blondes, mon petit cachemire !

GONDREVILLE.

Le cachemire du colonel !

MADAME DE GONDREVILLE, l’apercevant.

Ciel ! mon mari !

TOUS.

Son mari !

MADAME DE GONDREVILLE.

Élise, ma chère Élise, nous sommes sauvées, c’est mon mari !

GONDREVILLE, à sa femme.

Comment ! ce serait Élise de Lussan, dont tu me parlais dans toutes tes lettres ?

ADOLPHE, à part.

Mademoiselle de Lussan ! Ah ! malheureux, qu’ai-je fait ? moi qui voulais conquérir son estime, je commence par griser celle que j’aime, par la faire battre.

À Élise.

Ah ! mademoiselle, je suis indigne de pardon ; mais si vous saviez dans quelle intention !...

Pendant la tirade précédente madame de Gondreville a eu l’air d’expliquer à voix basse à son mari ce qui vient d’arriver.

GONDREVILLE, à Élise.

Air de La Sentinelle.

Je l’avouerai, d’un guerrier tel que vous
C’est à regret que je prive l’armée :
Pour d’autres soins, pour des succès plus doux,
Songez-y bien, l’amour vous a formée.
Ce fer qui pèse à votre bras,
Pour vaincre est moins sur que vos charmes.
Quittez l’appareil des combats ;
Qu’avez-vous besoin de soldats ?
Tout le monde vous rend les armes.

CADET.

À propos de cela, j’oubliais la carte. Il se trouve que mademoiselle redoit...

ADOLPHE.

Allons, encore ! Tais-toi donc !

CADET.

Je vous dis qu’elle redoit huit louis !

GONDREVILLE.

Je me charge de la dette de ces dames, et prie ces messieurs de vouloir bien accepter, pour ce soir, le dîner que leur offre leur véritable colonel.

ADOLPHE.

Ah ! mon colonel !

À madame de Gondreville.

Ah ! madame, si vous ne parlez pas en ma faveur, je suis un homme perdu.

À Élise.

Serai-je aujourd’hui le seul malheureux ?

ÉLISE.

Quoi ! monsieur, vous osez encore, après la conversation que nous avons eue...

ADOLPHE.

Je m’étais fait mauvais sujet pour vous plaire.

Montrant M. de Gondreville.

Je croyais parler à monsieur.

Se reprenant.

Mais la vérité pure...

ÉLISE.

Est que vous êtes querelleur, mauvaise tête, que vous aimez le vin, les dames.

ADOLPHE.

Ça, ce n’est pas ma faute, c’est celle de l’habit ; et vous l’avez bien vu par vous-même. Il n’y a pas une demi-heure que vous le portez, et vous avez déjà sur la conscience du champagne, un duel, et des dettes !

ÉLISE.

Le fait est que j’aurais mauvaise grâce à me montrer trop sévère.

À Gondreville.

Colonel, j’abdique,

À Adolphe.

et si malgré la perte de mon rang...

ADOLPHE.

Vous conserverez toujours sur moi le même empire. Soumis à la discipline conjugale, on ne me verra jamais passer sous d’autres drapeaux, et vous serez toujours ma femme, mon guide et mon colonel.

Vaudeville.

Air nouveau.

GONDREVILLE, à ses officiers.

Ne craignez point l’austérité sauvage
D’un commandant qui fuit les doux loisirs ;
Mêmes dangers seront notre partage,
Partageons les mêmes plaisirs.
Contre l’État si l’ennemi conspire,
Les fatigues auront leur tour ;
En attendant, aimer, chanter et rire,
Voilà, messieurs, l’ordre du jour.

MADAME DE GONDREVILLE.

Lorsqu’un amant qui porte l’épaulette
À la beauté se voit uni,
Telle est la consigne secrète
De madame et de son mari ;
Lui, dans les camps, où l’honneur le réclame,
Doit commander ; mais en retour,
Dans son ménage, c’est madame
Qui doit donner l’ordre du jour.

ADOLPHE.

Dans les périls déployer sa vaillance,
Dans les succès, sa générosité ;
Dans le malheur conserver sa constance,
Et dans tous les temps sa gaîté,
Fuir l’amour pour aller combattre,
Des combats voler à l’amour,
C’était l’usage au temps de Henri Quatre,
Et c’est encor l’ordre du jour.

ÉLISE, au public.

Pour solliciter l’indulgence,
De nos auteurs je suis le député ;
Ils comptent sur mon éloquence,
Je compte sur votre bonté :
Mais si notre attente est frivole,
Si la critique, orateur à son tour,
Veut contre nous demander la parole,
Nous demandons l’ordre du jour. 

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